viernes, 15 de mayo de 2009

Birmanie - Opposition : Aung San Suu Kyi victime d’une machination- Aung San Suu Kyi victima de una maquinación perfecta

L’opposante birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, a été inculpée hier pour avoir enfreint les règles de son assignation à résidence, une semaine après l’annonce par le régime militaire de l’intrusion chez elle d’un Américain qui avait traversé un lac à la nage pour la rencontrer.

Le procès de Mme Suu Kyi pour cette affaire bizarre s’ouvrira lundi à la prison d’Insein, à Rangoun, mais des diplomates occidentaux ont estimé que les autorités avaient désormais « un prétexte » pour la maintenir en détention. Et les réactions, dans les capitales occidentales, ont été nombreuses pour dénoncer ce nouveau coup de force des militaires au pouvoir.

Aung San Suu Kyi a en fait été victime d’une machination montée de toutes pièces par les autorités, selon des informations de source sûre recueillies par le journaliste et écrivain Thierry Falise (*), spécialiste de l’Asie du Sud-est et auteur d’un livre sur la chef de l’opposition birmane (Aung San Suu Kyi, le jasmin ou la lune, éd. Florent Massot, 2007). En poste à Bangkok, il explique à France-Soir les mécanismes de ce complot.

FRANCE-SOIR. Aung San Suu Kyi, assignée à résidence, a été inculpée pour avoir reçu la visite chez elle d’un Américain qui avait traversé un lac à la nage pour la rencontrer. Avez-vous plus de précisions sur cette affaire ?
THIERRY FALISE.
Cet Américain s’était déjà fait connaître dans les milieux d’opposants birmans en exil sur la frontière thaïlando-birmane. Un de mes amis responsable de projets humanitaires dans la région avec des minorités ethniques opprimées par l’armée birmane me confirme avoir été contacté par cet homme il y a quelques mois.

Il s’était présenté en disant que « Dieu lui avait ordonné de venir œuvrer avec les minorités opprimées ». En novembre 2008, il s’est rendu à la nage une première fois au domicile d’Aung San Suu Kyi. Celle-ci l’a renvoyé en lui expliquant les risques qu’il lui faisait courir ainsi qu’à ses deux compagnes de résidence. Le médecin d’Aung San Suu Kyi, son seul lien direct avec le monde extérieur, est allé expliquer l’incident aux autorités birmanes avec le but de la protéger. Plus tard, le régime a envoyé des agents à sa solde le long de la frontière thaïe où l’Américain était entre-temps revenu.

Se faisant passer pour des opposants birmans proches d’Aung San Suu Kyi, ils lui ont fait croire que cette dernière lui demandait de revenir chez elle par les mêmes moyens (la nage), car elle souhaitait lui délivrer un important message. L’Américain a obtenu facilement un visa pour revenir en Birmanie et rendez-vous a donc été pris en mai, soit quelques semaines avant l’expiration de l’assignation à résidence de l’opposante. Il y est retourné à la nage et est apparemment resté deux jours avant de se faire arrêter à sa sortie du lac.

Le lendemain de l’arrestation de l’Américain, les autorités ont arrêté le médecin d’Aung San Suu Kyi, c’est-à-dire le seul (outre elle) à être au courant de l’identité et des agissements préalables de l’Américain, et donc seul à pouvoir révéler le complot. Les autorités détenaient donc un prétexte idéal (séjour illégal d’un étranger chez un citoyen birman de surcroît en résidence surveillée) pour justifier l’arrestation d’Aung San Suu Kyi et sa comparution devant un tribunal.

L’opposante birmane a été privée de liberté pendant plus de 13 des 19 dernières années, principalement assignée à résidence. Son sort, avec ce procès qui s’ouvre lundi, risque-t-il de s’aggraver ?
L’hypothèse qu’elle soit réellement emprisonnée et non plus assignée à résidence est désormais sérieusement envisageable. Nous ignorons pour le moment les détails des chefs d’inculpation, mais il semble qu’elle soit accusée d’avoir atteint à la sécurité de l’Etat, ce qui, en Birmanie, selon les divers règlements, est passible de peines de prison d’un minimum de trois ans.

Quel est l’état de santé d’Aung San Suu Kyi en ce moment, selon vos informations ?
L’assistante de son médecin (qui a été arrêté au lendemain de
l’affaire du « nageur américain »), elle-même femme médecin, a pu se rendre chez Aung San Suu Kyi. Elle a constaté qu’elle souffrait de déshydratation et d’une baisse de tension. Elle lui a donc administré un traitement qui, selon elle, aurait eu des effets bénéfiques sur sa santé. Il ne semble pas (je dis bien « semble ») qu’il faille s’alarmer pour l’instant de l’état de santé de la lauréate du prix Nobel.

En 2003, quelques mois après sa nouvelle arrestation, elle avait dû subir une importante intervention chirurgicale. Les autorités birmanes lui avaient à l’époque fourni les meilleurs services médicaux disponibles dans le pays. Les rumeurs sur l’état de santé d’Aung San Suu Kyi relancent cependant chaque fois une question angoissante : la junte veut-elle la faire mourir (par exemple d’une mort « naturelle » en ne la soignant pas) ? Réponse difficile. Il existe certainement une minorité de généraux qui verraient d’un bon œil la disparition physique de l’opposante, mais je pense que les autres généraux savent qu’un tel événement présenterait le risque de soulèvements populaires peut-être difficiles ou impossibles à maîtriser.

Vous connaissez bien l’opposante birmane pour l’avoir rencontrée et avoir écrit un livre sur elle. Parlez-nous de ses conditions de vie ces dernières années.
Depuis 2003, elle vit dans la maison familiale, sorte de petit manoir décrépi par manque d’entretien au bord du lac Inya, au cœur de Rangoun. Elle vit avec une amie de son âge et une fille de cette dernière. Le seul contact que ces trois femmes ont avec l’extérieur (outre la radio) est le médecin autorisé à venir rendre visite en moyenne une fois par mois. Il est interdit au médecin d’introduire dans la maison autre chose que son matériel médical.

Il est donc chaque fois contraint d’apprendre et de retenir une multitude de messages que les uns et les autres veulent faire parvenir à Aung San Suu Kyi. Un autre homme, un ancien garde du corps, est chargé chaque matin d’apporter un panier contenant nourriture et produits d’entretien et de toilette.

L’homme et le sac sont fouillés par les forces de sécurité stationnées à l’entrée de la maison. Une fois le panier remis à une des deux « colocatrices » d’Aung San Suu Kyi, une liste de courses à faire pour le lendemain lui est confiée (et au préalable lue par les sbires à l’entrée). Ensuite, grâce à de l’argent fourni par un réseau de sympathisants, cet homme se rend au marché pour faire ses courses. Il faut que le contenu du panier corresponde exactement à la liste remise la veille…

La vie quotidienne de la chef de l’opposition est assez routinière. Elle passe beaucoup de temps à lire (elle apprécie notamment Simenon et des ouvrages sur le bouddhisme…), écouter la radio, méditer, écrire et faire le ménage. Elle a réussi, à la suite de la dernière visite de l’envoyé spécial des Nations unies, à obtenir du régime l’autorisation de se faire remettre de temps en temps des exemplaires de magazines américains Time et Newsweek.

Elle n’a plus de contacts depuis des années avec ses deux fils (dont l’un vit aux Etats-Unis et l’autre en Grande-Bretagne). Les trois femmes doivent aussi supporter les nombreuses – et de plus en plus fréquentes – coupures d’électricité qui empoisonnent la vie de tous les habitants de Rangoun pas assez riches pour s’offrir un groupe électrogène.

(*) Thierry Falise a publié en janvier dernier Le Châtiment des rois : Birmanie, la chronique d’un cyclone oublié, aux éditions Florent Massot, un an après le cyclone Nargis.


Une icône de la liberté


Son visage, surmonté d’une frange brune qui lui barre le front, incarne la résistance face à la junte militaire qui dirige la Birmanie depuis vingt ans. Malgré ses 63 ans, Aung San Suu Kyi n’a pas perdu son sourire juvénile. Les menaces, les années de prison et de résidence surveillée n’ont pas entamé sa détermination.

Prix Nobel de la paix 1991, cette adepte de la non-violence, fortement influencée par les idées du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, qui vient d’être inculpée pour avoir enfreint les interdits de son assignation à résidence, est une véritable icône de la liberté.

Née le 19 juin 1945, elle a 2 ans quand son père, le général Aung Sans, un des artisans de l’indépendance du pays et fondateur de son armée, est assassiné. Elle en a 44 quand, le 24 août 1988 après des études de philosophie, de politique et d’économie à Oxford, elle crée la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Deux jours plus tard, alors que le dictateur Ne Win réprime des manifestations dans le sang, plus de 500.000 personnes assistent à son premier meeting. De quoi perturber l’assurance des militaires au pouvoir. D’autant que deux ans plus tard, en mai 1990, son parti, le LND, recueille 80 % des suffrages aux élections générales. Alors qu’elle s’attend à obtenir le poste de Premier ministre, la junte, au contraire, annule le scrutin.

Les ennuis de Aung San Suu Kyi ne cesseront de croître. Dernier en date : son incarcération, hier, à la prison d’Insein, où siège le tribunal chargé de la juger pour non-respect de son isolement. Dans cette prison, les Nations unies estiment que croupissent bon nombre des 2.100 prisonniers politiques birmans.